François le Beau maçon #RDVAncestral

On le surnommait « Le Beau maçon », François RATEAU (1832-1869) maçon de la Creuse s’est implanté dans le Loiret, à Epieds-en-Beauce, au milieu du XIXe siècle. Ce premier #RDVAncestral est l’occasion d’en savoir un peu plus sur l’arrivée de François en Beauce. Pourquoi ? Comment ? Aurai-je mes réponses ? Cet exercice d’écrire permet de pallier un manque d’informations. Si j’en connais un peu plus sur François, c’est grâce au livre de Danielle Demachy-Danton, Histoire des maçons de la Creuse paru en 2011 aux Editions Le Puy Fraud.


Sur les bords de la Loire par un beau dimanche ensoleillé, je remonte le fil du fleuve en direction d’Orléans. Des sifflements se font entendre au loin derrière moi. Je me retourne, le paysage a changé, les habitations qui bordent le chemin ont disparu, la piste cyclable n’est plus, les ponts, les aménagements du fleuve ont disparu. Je suis transporté dans un autre monde, dans un autre temps. Le fleuve a retrouvé la circulation intense des bateliers, les maîtres vinaigriers réceptionnent les tonneaux de vins sur les quais, la bonne bourgeoisie orléanaise flâne.

Un promeneur endimanché tient l’exemplaire du Journal du Loiret, je ne parviens qu’à lire trois premiers chiffres de l’année « 185. ». Les sifflements lointains deviennent de plus en plus perceptibles. A quelques pas, un groupe d’une dizaine d’hommes s’arrêtent. Il est midi.

A leur tenue, je ne pense pas me tromper, ce sont des Limousins, travailleurs du bâtiment. Tous vêtus de blanc avec un chapeau noir, plat à large bord. Ils s’installent par petits groupes, l’un s’isole, ses camarades l’interpellent par son prénom, François, aucune réponse. De nouveau ils l’appellent Rateau, Rateau, il se retourne enfin, ils lui proposent de se joindre à eux, mais rien n’y fait. Il a le regard vague et nostalgique, la Loire comme seul horizon. Le pays lui manque-t-il ?

Je comprends que c’est lui, mon maçon de la Creuse. Je connais si peu de chose sur sa vie d’avant, sa vie d’itinérance, sa vie de migrant saisonnier avant qu’il ne s’installe et fonde sa famille dans le Loiret, si loin de ses parents et de sa terre natale.

Je m’approche de lui, m’assois sur une pierre, sans un mot. Tout en mangeant son frugal repas, quelques châtaignes sorties de sa besace et un morceau de pain, il me raconte son parcours.

Il s’appelle François RATEAU, il a la vingtaine, il est né dans les années 1830 à Fresselines au Nord de la Creuse, dans le village des Forges. Son père travaille le bois, il est sabotier et charpentier, lui est maçon. En famille, ils cultivent quelques arpents de terres et du chanvre dans une petite chènevière accolée à la maison mais rien de suffisant pour faire vivre la famille. Il faut dire que la terre limousine n’est pas très fertile, il n’y a pas de vastes exploitations comme en Beauce, les châtaignes et les raves sont abondantes contrairement aux céréales.

Comme la plupart des hommes de la région, s’il veut survivre, il doit partir. Le peu de terres cultivées, le seront par les femmes et les quelques hommes restés sur place. Ils reviendront, pour la plupart, après quelques mois pour les travaux plus harassants. C’est ainsi que va la vie dans la Marche et le Limousin depuis plus de deux cent ans.

Cela fait dix jours qu’il a pris la route avec ses compagnons. De son village isolé, par un jour pluvieux d’autonome, il est allé sur la place de l’église de Fresselines, point de départ pour la centaine de migrants de la commune. Après une messe célébrée en leur honneur, ils ont rejoint le chef lieu du canton, Dun-le-Pastel où ils étaient encore des centaines à attendre le départ pour prendre la route vers le Nord, Paris, Orléans ou Sens pour destination. Au sud du département, les hommes convergent vers Lyon ou Bordeaux.

Ils sont maçons, charpentiers, tailleurs ou scieurs de pierre, simples manœuvriers, compagnons ou maîtres, travaillant seul ou pour un entrepreneur local. Ils partent embellir les villes pendant quelques mois, puis ils reviendront au pays avec quelques économies.

François n’a pas le choix, comme ses ancêtres, ses cousins, ses voisins, il doit partir. Il me raconte que ce phénomène de migration n’est pas nouveau, son grand-père maternel, charpentier de son état, n’est jamais revenu d’une de ses campagnes. Les anciens qui l’ont connu racontent qu’il est mort à Paris au début de l’été 1807, mais ne lui ont jamais dit comment.

Cette migration économique, saisonnière et surtout contrainte est très importante, de quoi préoccuper les autorités départementales. Des études préfectorales ont déjà été organisées pour essayer de comprendre cette trajectoire et d’essayer de l’enrayer. François me raconte que chaque année il doit aller s’enregistrer à la mairie de Fresselines et refaire son passeport pour l’intérieur si celui-ci n’est plus valable. Les chiffres communaux sont envoyés à la préfecture. Une étude de 1846 recense plus de 34000 à 35000 hommes partis travailler en dehors du département. François était l’un d’entre eux, il était alors apprenti et n’avait pas quinze ans. La Creuse n’est pas le seul département à connaître ce phénomène, ils sont aussi quelques milliers dans les départements voisins de la Corrèze et de la Haute-Vienne.

Une fois réunis à Dun, des groupes se sont formés en fonction de la destination de chacun, ils sont tous partis ensemble et au fur et mesure du voyage, les uns travaillant quelques jours, ici ou là, pour restaurer le mur d’une grange, réparer la charpente d’une église, d’autres ont fait demi-tour, trouvant déjà le voyage trop éprouvant. François s’est joint à une dizaine d’hommes, des amis, des cousins, certains mariés avec enfants, d’autres célibataires comme François. Dans le groupe, il y a des vieux, les maîtres du temps et du chemin, ils effectuent surement l’une de leur dernière campagne mais ils ont cœur de montrer au plus jeune leur métier et les traditions de cette migration. François semble aimer ces échanges intergénérationnels, quand il m’en parle, il regarde les plus anciens avec un grand respect et les plus jeunes avec bienveillance. Les jeunes compagnons de route de François, assis autour de nous, ne doivent pas avoir plus de douze ou treize ans, pour eux c’est leur première campagne, chaque pas est nouveau mais déjà encré dans la tradition de leurs prédécesseurs.

Le chemin est bien connu des plus anciens, il n’y a qu’un itinéraire valable pour rejoindre Paris. Quatre villes incontournables, séparées l’une de l’autre par plus de cinquante kilomètres : Issoudun – Vierzon – Salbris – Orléans. Depuis plus de deux siècles, chaque année cette route est empruntée par ces forçats du bâtiment. Les chemins se sont améliorés avec le temps, ils sont devenus plus sures et le réseau s’est développé. Le chemin de fer a fait son apparition, de quoi rendre le voyage plus facile et agréable.

De Dun, ils ont rejoint la première gare, les uns prenant le train, les autres comme François préférant une voiture, surnommée coucou, moins conformable mais moins coûteuse, il a continué à pieds en longeant le Cher depuis Vierzon puis la Loire jusqu’à Orléans.

Les camarades de route de François, leur repas fini, s’apprêtent déjà à reprendre la route . Certains feront quelques provisions à Orléans avant d’aller jusqu’à Paris, d’autres iront se présenter à des entrepreneurs en bâtiments, ils ont entendu dire que l’Hôtel de Ville était en travaux.

François ne sait pas encore s’il s’arrêtera à Orléans, où l’un de ses cousins, lui aussi maçon, s’est installé il y a déjà quelques années ou si il continue avec ses camarades jusqu’à Paris, tout dépendra du travail qu’il trouvera. S’installera-t-il cette année à la campagne prochaine?

Son récit va prendre fin, il n’aura pas le temps de m’en dire plus sur leur vie quotidienne loin de chez lui, des occupations en dehors du travail le soir et les dimanches, les soirées au cabaret, l’instabilité et la précarité de la profession, la dure vie de labeur. J’espère le recroiser dans quelques temps, peut-être dans un champ non loin de sa maison qu’il construira dans le Loiret.

Il est toujours là, mais voyant ses compagnons s’éloigner, il se lève précipitamment, m’abandonne son reste de châtaignes et se mit à courir pour les rejoindre. Je n’ai pas eu le temps de lui dire qui j’étais, mais cela n’a pas d’importance, il vient de me raconter un bout de son histoire et un pan important de celle de tous les hommes de sa région, cela me suffit amplement. Je connais la suite.

Je le regarde s’éloigner, il a fière allure le Beau maçon.

5 réflexions sur “François le Beau maçon #RDVAncestral

  1. Un beau texte qui laisse entrevoir la dure vie des maçons creusois (et celle de leurs épouses qui restaient seules à la ferme de mars à novembre, s’occupant des gros travaux agricoles avec les enfants et les vieillards). Un exil « volontaire » car les terres limousines ne suffisaient pas à les nourrir. Au début ils revenaient l’hiver, puis ont fini par s’installer définitivement sur leurs lieux de travail, espérant une vie meilleure. C’est ainsi que la Creuse s’est peu à peu vidée de sa population.
    L’un de ces maçons prit des cours du soir pour s’instruire; il finit par devenir député de la Creuse et, bien que son nom reste souvent méconnu, il est très célèbre pour avoir prononcé la fameuse phrase « quand le bâtiment va, tout va ! ». Il s’appelait Martin Nadaud.
    Mélanie (élevée en Creuse) – Murmures d’ancêtres

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  2. Pingback: Numéro 11 : Juillet 2017 – #RDVAncestral

  3. François mérite bien un bel article comme celui-ci.
    Dans mon groupe Patrimoine et Famille du Lyonnais, des personnes ont présenté leurs recherches sur les maçons de la Creuse. J’ai ainsi pris conscience que Lyon leur doit son urbanisme, beaucoup d’immeubles ont été construits par ces hommes. La corporation était importante avant que n’arrivent les Italiens.

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